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dimanche 30 mai 2010

Journal de route d'un combattant de la guerre 14-18 : n°9







9ème partie : Offensive allemande du 27 mai 1918 - 
Chemin des Dames à Château-Thierry 



Cela faisait bien longtemps que j'avais manqué le rendez-vous avec le journal de mon cher grand-père . Je vais essayer d'être beaucoup plus assidue désormais à recopier son journal, d'autant plus qu'on arrive bientôt à la fin.
Il ne restera en effet que la 10ème partie,intitulée "2ème bataille de la Marne", que je vous dévoilerai dans un prochain billet. 

La dernière fois que j'avais ouvert le journal , c'était le 3 novembre 2009 , j'étais au chapitre intitulé : 8ème partie Front de l'Oise -offensive allemande du 21/03 au 05/04 1918.
Je vais donc poursuivre avec la 9ème partie.
Pour ceux qui découvrent mon blog et que ce journal intéresse , je vais donner les liens pour retrouver les 8 précédents billets .




Du 25 avril au 26 mai 1918, nous sommes au repos à Chacrise-Villeblain(Aisne).Comme d'habitude  ,exercices, marches, revues. Nous sommes logés dans des baraques ADRIAN (constructions provisoires en bois et métal ,destinées au cantonnement des soldats ou à servir d'entrepôt .Les baraques Adrian ont également été utilisées dans l'immédiat après-guerre pour pallier les destructions des régions du front), au bord d'une petite rivière.

C'est de là que je suis envoyé à Vignolles (Aisne),près de Soissons pour effectuer un stage dans un centre du 8ème régiment de génie pour me perfectionner en T.S.F. ( TSF = Télégraphie Sans Fil pour ceux qui ne connaissent pas ) et lecture au son. Cela était pour moi très intéressant et pouvait m'ouvrir des horizons comme télégraphiste dans un poste de commandement. Aussi, j'y travaillais d'arrache-pied, quand ,le 26 mai 1918 à 17h (c'était un dimanche), je fus rappelé à mon unité et transporté en camionnette jusqu'à Chacrise où se trouvait mon groupe d'artillerie.Là ,en arrivant ,j'appris que nous étions en alerte et prêts à monter en ligne pour 20h .


Nos pièces et camions étaient partis depuis 15 h, direction Blanzy lès Fismes .A 20h , je partis donc en camion avec mes camarades de Chacrise pour Blanzy lès Fismes. Nos camions étaient pleins d'obus , nous avons roulé sans arrêt ,traversé village après village , Braine, Mont-Notre-Dame en flammes et un immense dépôt de munitions qui sautait. Nous  ne savions pas ce qui se passait, partout des incendies à l'horizon!


Fismes brûlait comme une torche, les obus incendiaires allemands tombaient partout.Les habitants se sauvaient en chemises au milieu des flammes, j'ai vu des femmes et des enfants courir nus dans la ville en flammes.






 Nous avons tourné à gauche pour prendre une petite route et à 2h du matin, nous arrivions à Blanzy lès Fismes que les Allemands couvraient d'obus à gaz. Nous mîmes nos masques et organisâmes la défense du petit village sur la place, devant une croix.Nos canons étant arrivés furent mis en position de combat et je reçus l'ordre de monter une installation de téléphone jusqu'au P.C. du Commandant Chavanne ,installé à 5 kilomètres de là, au village de Vauxcéré. 
Il faisait un temps splendide en ce jour du 27 mai 1918 ,mais il y avait un mystère : nous apercevions ça et là des soldats en caleçons ou chemises ,qui avaient traversé l'Aisne à la nage et qui nous informaient que les Allemands attaquaient en masse et que tous les régiments français étaient détruits aussitôt en contact avec l'ennemi.
Ce secteur du front était calme et tenu par des Territoriaux et des unités anglaises ( Armée Duchesne).
Cette attaque allemande du 27 mai 18 fut commandée par le Général Von Bock qui enfonça le front français sur 45 kilomètres avec 300000 hommes .
Notre unité ,le 333 ème d'artillerie,comme je le disais plus haut,se trouvait à Blanzy lès Fismes pour colmater cette avance et défendre Fismes ,ainsi que la station sanitaire de Mont-Notre-Dame.


Le matin du 27 mai 1918 , lors de l'installation dans les champs de le ligne téléphonique , je fus attaqué par un avion allemand qui me mitrailla très bas ,ainsi que mon camarade Deguyenno. Nous ne dûmes notre salut qu'en nous couvrant de gerbes de paille dans un champ.
D'autre part ,lorsqu'un officier de dragon,suivi de quatre cavaliers nous demanda ce que nous faisions,nous lui répondîmes que nous installions une ligne téléphonique jusqu'à Vauxcéré et que nos pièces de canon étaient en position de tir à Blanzy lès Fismes. Il nous salua de la main et nous dit "adieu,pauvres camarades". Cela n'était guère réjouissant pour nous ,car les Allemands tiraient au canon des rafales un peu partout ,dirigés par un ballon d'observation à basse altitude .


A l'entrée de Blanzy ,une jeune femme affolée avec ses deux petits se mit à genoux devant moi et me dit : "monsieur, sauvez nous".
J'essayais de la réconforter et je lui dis :"il est encore temps de partir , prenez la route de Fismes et sauvez vous". Cette femme pleurait ainsi que ses enfants .

Au même moment à ma droite, à 100 mètres , un gros obus noir (obus de 150 ) éclate sur un caisson attelé de 6 chevaux avec trois servants (soldats) à bord. J'eus juste le temps de faire un plat ventre car le tout sauta en l'air . J'ai marché sur les cadavres des chevaux,mais n'ai trouvé aucune trace des soldats , ils étaient tous pulvérisés .Je suis rentré à Blanzy , les souliers couverts de sang .

A 3h de l'après midi,les vagues de soldats allemands déferlaient dans la plaine et attaquaient Blanzy où nous étions 45 servants aux 4 pièces d'artillerie et 2 mitrailleuses et grenades .Nous nous défendons comme des lions, nous débouchons les fusées d'obus à 0 , c'est à dire que les obus éclatent à l'orifice de l'âme du canon. Nous faisons des trouées immenses dans les masses allemandes et achevons ceux qui nous approchent à gauche et à droite. Nous réussissons à arrêter les Allemands pendant une heure devant nos postions , nos morts sont nombreux ainsi que nos blessés , les Allemands nous criblent de tous côtés et nous encerclent.
Le Capitaine Desfrancs nous dit "un artilleur défend sa pièce jusqu'à la mort ,nous ne lâcherons pas".
Ayant épuisé nos munitions, cet officier nous donna alors l'ordre de faire fondre les culasses par un dispositif spécial que nous connaissions et nous dit "rassemblement à Fismes ,sauve qui peut" .


A ce moment ,les vagues allemandes ,voyant notre position désespérée, se jetèrent sur nous . J'arrivais à me sauver en me cachant d'arbre en arbre jusque dans le fond d'un petit ravin. Les Allemands me tiraient dessus et je tombais 3 fois à terre en implorant le ciel de me sauver (2ème miracle).
Ma capote (vêtement du soldat en 1914-18) était percée par les balles , ainsi que mon bidon d'eau. Je réussis à atteindre l'arrière d' un baraquement en bois pour reprendre haleine et regrimper la pente du terrain qui aboutissait à la route de Fismes.


Sur la route , j'aperçus une auto- mitrailleuse qui se mettait à tirer sur le groupe d'Allemands qui m'avaient attaqué. Je me mis derrière cette auto -mitrailleuse qui me protégea un moment et à travers champs,je me suis retrouvé seul et perdu sans les autres copains .
J'eus la chance de retrouver , près de la ligne du chemin de fer qui va de Fismes à Paris ,un camion de mon unité qui était perdu lui aussi. Nous avons continué ainsi la route qui va à Bois d'Arcy et à 20h, nous nous sommes arrêtés près d'une roulante (c'était initialement la cuisine roulante de compagnie , mobile, qui permet de préparer le ravitaillement des combattants à proximité des premières lignes) ,où je pus manger un morceau de pain.






 A quelque temps de là, un groupe de 10 hommes à pied apparut sur la route. C'était le reste des 45 servants, rescapés de la tuerie. Je me présentais au Capitaine Desfrancs qui me dit:" je te croyais tué ou prisonnier , je te barre de la liste noire qui se trouve sur mon calepin".


Dans la nuit ,nous avons rejoint Fresnes en Tardenois où nous étions cantonnés il y a quelques mois. La première personne que je trouvais fut le pauvre curé du village et sa vieille servante. Je lui dis que les Allemands attaquaient en masse et qu'avant 2 jours , ils seraient ici. Je l'aidais donc à charger ses pauvres affaires sur sa petite voiture ,et après nous avoir donné à moi et à mon camarade Deguyenno un verre de rhum , il nous fit ses adieux ,laissant les clefs sur les portes de sa maison (je suis repassé dans ce village bien plus tard , il était entièrement détruit).

Quant à nous deux, nous partîmes nous reposer une heure sur la paille dans une écurie de ferme. Au petit jour ,nous avions reçu des canons neufs et reprîmes la route du front en direction de Fère en Tardenois ,que nous traversâmes au matin. Vers une heure de l'après midi, nous remontâmes vers le nord dans le bois d'Arcy . Nous avons longé la ligne du chemin de fer ,et près d'une tuilerie,nous avons mis nos pièces en batterie dans une clairière. 
Aussitôt , les avions allemands nous ont attaqué avec des flèches en acier ,nous avons riposté avec nos fusils ,et ils s'en sont allés .Il n'y eut pas un blessé parmi nous ,car nous étions protégés sous les canons et caissons. A la tombée de la nuit , alors que nous étions en alerte ,je fus appelé à 22h par le Capitaine Desfrancs qui me présenta une carte d'état major et me pria d'aller chercher deux camarades en faction de l'autre côté du bois , car depuis trois heures , nous n'avions plus de nouvelles d'eux .


Je pris mon fusil, des grenades, et me faufilais à travers bois ,sans perdre la route et en évitant de me montrer ,le bois étant infesté d'Allemands. Je vois encore ce tableau au clair de lune , alors que je risquai de tomber face à face avec un Allemand. Après plusieurs heures ,j'arrivai au bout de la ligne téléphonique dont devaient se servir ces deux camarades ; les deux bouts du fil électrique étaient dénudés , mais les copains étaient partis!...
Après avoir rampé dans le champ de blé qui bordait l'orée de ce bois , j'entendis le bruit d'hommes qui rampaient comme moi. J'accrochais un bout de papier sur le fil électrique et j'écrivis :"les gars , revenez tout de suite à la batterie". Je rentrais exténué à la batterie au petit jour et m'endormis sur l'herbe. 
Presque aussitôt, un chasseur à pied vint vers moi et me dit : "qu'est ce que vous foutez là , les Allemands décrochent !" Aussitôt ,j'emmenais cet agent de liaison voir le lieutenant et je lui répétais ce qu'il venait de me dire .
L'ordre de départ est aussitôt donné et nous repartons en direction du sud . Après avoir traversé la ligne de chemin de fer ,nous mettons en batterie dans la plaine et nous voyons dévaler les Allemands. Nous tirons aussitôt des morceaux d'obus sur eux ,mais nous ne pouvons les arrêter,tellement ils sont nombreux !
C'est la grande débâcle, l'infanterie passe devant nous pour se replier. Les mises en batterie se succèdent alternativement avec le 222 ème régiment d'artillerie. Nous sommes fatigués car il fait très chaud. Nous nous arrêtons la nuit dans un grand pré ,près d'un petit village où il y a quelques maisons. Aussitôt ,nous faisons des créneaux dans les murs d'un jardin et tirons sur les Allemands qui nous dominent un peu ,car ils sont dans un petit bois surélevé. Les Allemands se sont arrêtés eux aussi et tiraillent sur nous (tirailler = tirer à volonté avec une arme à feu) ,mais n'avancent pas . 
Ainsi se passe la nuit et ,au petit jour ,un clairon sonne le "Rappel en campagne" et deux compagnies d'infanterie nous quittent ,nous laissant en panne .
Cela n'a pas d'importance ,nous décrochons au pas des chevaux et nous nous garantissons par les feux de nos deux mitrailleuses et de nos fusils.

Nous mettons en batterie nos pièces toute la journée et souvent pour tromper l'ennemi ,partons vers lui au galop. Avec une pièce et un camion,nous mettons en position notre pièce et tirons sur la masse des Allemands , repartons ,et ainsi de suite !...
Nous faisons du carnage ,mais heureusement ,nous n'avons aucun blessé .

Les "aventures" ne manquent pas ; par exemple ,j'ai l'ordre de monter sur une petite colline et d'observer l'ennemi où il se trouve . Arrivé en haut de cette colline,j'aperçois les Allemands postés juste en bas de l'autre côté de la colline . Je redescends en vitesse prévenir,sans quoi on risque un carnage ! En effet ,c'est la grande attaque allemande ,ils descendent vers la Marne. Nous approchons de la ferme qui se trouve près de Marigny en Orxois. Nous aidons les paysans à charger leurs voitures et ils partent ,nous disant de prendre ce que nous voulons ,car nous n'avons plus de ravitaillement et nous "crevons" de faim depuis plusieurs jours . Je mange de la betterave ,de l'oseille crue . J'ai tiré un lapin et essaye de le faire cuire sous la poudre d'une gargousse (une gargousse est la charge de poudre d'une bouche à feu contenue dans une enveloppe de tissu ou de papier). Je transporte une gamelle avec mon lapin à l'intérieur pendant des kilomètres ,espérant me régaler avec les copains et plan, patatras !...Le plat tombe par terre ,nous ramassons le lapin plein de terre ,à moitié cuit ,et nous le mangeons. Les chevaux aussi "crèvent de soif" ,nous ne trouvons pas d'eau et leur donnons un peu de "gniole"(eau de vie) dans un quart.Ils la lapent comme du petit lait !


Quelle débandade, mon unité ! Mais nous gardons quand même bon moral , malgré notre fatigue. Le 31 mai 1918 à 17h ,nous stationnons sur la place du marché de Marigny en Orxois. Il reste un charcutier dans le patelin, il liquide sa marchandise et je peux lui acheter deux boîtes de pâté que je mange bien entendu sans pain,car il n'y en a pas . 
Sur la place ,nous remplissons nos bidons d'eau et nous mettons la tête sous le robinet ,tellement il fait chaud !
Nous repartons vers le sud ,vers Montreuil aux Lions ,car l'ennemi attaque sans cesse . Enfin, nous mettons en batterie dans un endroit appelé "la Plâtrerie",les munitions arrivent enfin et nous tirons sans arrêt jour et nuit ,le ciel est en feu , cela jusqu'au 2 juin au soir ,où nous voyons arriver les premiers Américains et un bataillon de soldats russes ,c'est le bataillon de la mort : devise - pas de prisonniers -.
Les Allemands se terrent et ne peuvent plus avancer ,car les troupes sont nombreuses.


Quant à nous , nous repartons vers Château-Thierry où les Allemands continuent d'avancer. Nous passons le pont et mettons en batterie de l'autre côté de la berge. Le pont devant sauter , nous le repassons à nouveau , remontons à Montreuil aux Lions et mettons en position près du bois de Belleau  ,où se trouvent les Américains .






 Nous tirons jusqu'à épuisement de nos munitions ,le ciel est rouge et rempli de fumée. Nous mettons à nouveau nos pièces en batterie,près de Marigny en Orxois et de
Ecoute s'il pleut ,du 4 juin au 14 juillet 1918. Nous harcelons l'ennemi par des tirs violents et par effet de surprise pendant toute cette période . L'ennemi nous répond et nous avons de nombreux blessés . Plus d'une fois, j'ai risqué ma vie en allant chercher le toubib sous des bombardements extrêmement violents . Mais je cours bien et les "plats ventre" ne me font pas peur !



Lexique des termes employés en 1914-1918 :  

Vocabulaire des poilus  dans les tranchées et Locutions du Front:








Fin de cette 9ème partie , la 10ème et dernière partie s'intitulera : "2ème bataille de la Marne" 

Récapitulatif des liens du journal de route de mon grand-père - guerre 14-18-

3 commentaires:

  1. Merci, c'était très prenant! Il fallait courir très vite à l'époque pour s'en sortir...c'était un peu sauve-qui-peut à certains moments!

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  2. C'est justement ce que je me disais en recopiant ce chapitre! Ils devaient avoir de sacrées décharges d'adrénaline par moments !
    Bientôt le 10ème et dernier chapitre , il est un peu long ,mais j'espère terminer avant la fin juin.

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    1. Bonjour,
      je suis l'écrivain Jean-Michel Thibaux. Je publie en 2014, mon 52 roman: "la tambour" dont l'action se déroule à Fismes et Baslieux-les-fismes en 14/18. Je fais aussi des recherches sur mes ancêtres à Chacrise, entre mon grand_père qui était fermier.Je voudrais rencontrer des personnes âgées l'ayant connu.
      Merci,
      Jean-michel Thibaux.
      jean-michel-thibaux.com

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