Translate

dimanche 26 juillet 2009

Journal de route d'un combattant de la guerre 14-18 : n°2 - Le front de Verdun -





Voici donc la suite et 2ème partie du journal de route de mon grand-père ,avec le front de Verdun

Front de Verdun –Reprise de la Côte 304 et du MORT HOMME


Arrivés à Dombasles-en-Argonne, suivant les ordres reçus de Revigny, nous nous dirigeons vers un baraquement du 103è Régiment d’artillerie qui se trouvait à quelques mètres d’un passage à niveau de la ligne de chemin de fer Paris-Verdun. L’aspect de cet endroit n’est pas engageant, le réservoir d’eau est éventré, la maison du garde barrière en ruine, les rails détruits .

C’est là qu’est situé l’échelon du 103è d’artillerie. Nous sommes pris en charge par cette unité et notre première nuit est « agrémentée » de rafales d’obus que nous adressent les Allemands. Aussi, nous passons une nuit mouvementée, ne sachant où nous mettre à l’abri, aucun endroit n’étant prévu pour cela . Au petit jour, nous allons constater les dégâts qui ne sont guère réjouissants !

Enfin, le 18 août 1917, nous montons en renfort pour le front.
Il est 19h, nous traversons le passage à niveau, nous sommes installés à 3 sur un caisson rempli d’obus, avec ordre de rester ici, sans descendre de voiture. Nous prenons la route qui mène dans la direction de la forêt de Hesse. Il fait une chaleur épouvantable, nous rencontrons de nombreux convois et des colonnes d’infanterie. La route est criblée de trous d’obus, une poussière infernale se dégage, nous sommes blancs comme neige, nous ressemblons à des hommes de bronze.


Le conducteur Collot mène bon train notre caisson, au galop par moments, au trot presque en continu, et nos six chevaux traînent ainsi de pauvres diables très fatigués.
Les obus tombent à droite, à gauche, avec de grands éclairs, mais personne n’est blessé. Par moments, la route (soi-disant route) est encadrée de grandes toiles tendues sur des poteaux pour camoufler à l’ennemi la vue du passage des troupes. Nous passons souvent à travers champs, cahotés, à demi couchés les uns sur les autres. Certaines voitures sont renversées, nous voyons en passant des cadavres de chevaux gonflés d’où sortent les boyaux, le tout plein de sang. C’est le grand « bazar » ! Il faut se tenir énergiquement sur le caisson pour éviter de tomber. Je suis assis au milieu de mes camarades et je les tiens par les épaules.


Enfin, nous apercevons au loin la forêt de Hesse .La nuit arrive et nous espérons ainsi nous cacher à la vue de l’ennemi.
A l’orée de cette forêt presque détruite par les marmitages (bombardements d’artillerie ),nous nous arrêtons et un agent de liaison nous conduit après une demi-heure de marche à l’endroit où loge le Commandant de la 34è batterie : c’est le Capitaine Lhopital .
Quelques obus tombent pas très loin de nous , nous ne sommes pas fiers et faisons quelques « plat ventre » , mais l’effectif étant au complet ,nous repartons ,toujours encadrés par les obus ,pour rejoindre la 35è batterie , conduits par un agent de liaison .


Enfin, nous nous présentons devant le lieutenant des Francs commandant la 35è batterie .Il ne nous fait aucun discours, prend nos livrets militaires, convoque un sous-officier, et celui-ci nous mène à un « soi-disant » abri, à moitié effondré et à ciel ouvert .Il commence à pleuvoir, nous sommes trempés. Nous sommes 6 dans cet abri, avec la consigne de ne pas nous endormir, car il y a un risque d'obus toxiques avec nappes de gaz . Les fusées éclairantes donnent une clarté blafarde au tableau et un grondement intense nous « abrutit » faisant suite aux marmitages de part et d’autre.


Au petit jour, nous commençons à réparer cet abri de fortune avec tout ce que nous trouvons, madriers, tôles, etc. … Nous comblons donc les vides faits par les précédents qui ont été tués ou blessés.
Je suis affecté à une pièce de 155 court Schneider (c’est un canon) à tir rapide, comme artificier, et je commence à manier des charges de fusées. Quant à mon camarade E.Monet, qui s’était engagé avec moi, il est nommé pointeur à une autre pièce. 

A peine commencé,l’alerte est donnée,nous tirons sans arrêt pendant deux heures .Un obus tombe sur la « guitoune » (tente) de notre camarade « Cassis » : heureusement, personne n’est blessé ! 
Le soir , dès la tombée de la nuit , le ravitaillement se fait des abords d’une route jusqu’à nos pièces ,et nous trimbalons des obus et des obus ainsi que des caisses de gargousses ( charge d’une bouche à feu contenue dans une enveloppe cylindrique en papier ou en toile au diamètre de la chambre du canon) : poids 45 kg l’obus et caisse de gargousses 110kg ! Nous sommes très fatigués, nous avons chacun un nombre déterminé d’obus à transporter, le tout infecté par les gaz que nous envoient les Allemands ; il faut mettre les masques au bout de quelque temps, cela est irrespirable, les yeux pleurent, nous toussons, nous ne sommes même plus capables de voir où nous allons. Pour faire nos besoins, il faut faire très attention, car l’urine dégage des gaz sur l’herbe !

-Offensive du Général Guillaumet, reprise de la côte 304 du 20 août 1917 au 6 septembre 1917
5ème Bataille de Verdun, reprise de la côte 304 le 24 août 1917 .

Enfin, le sort en est jeté, c’est l’attaque générale sur la côte 304. Nous tirons sans discontinuer, j’arrive avec peine avec l’aide de mes deux pourvoyeurs à suffire aux besoins de ma pièce qui fume de chaleur. 
Les Allemands répondent par du 150mm qui tombe autour de nous, nous sommes sourds, tellement le bruit est intense, et seuls de grands éclairs indiquent où sont tombés les obus allemands. Nous rafraîchissons l’âme de notre canon par des seaux d’eau ; par moments,la gueule du canon rougit,c’est incroyable qu’il n’y ait pas d’explosion !

La nuit, le ciel est éclairé comme en plein jour. Pour un baptême du feu, nous sommes servis ! Il y a des blessés et des morts. Un camarade a été tué et son corps disloqué pend sur la branche d’un arbre.
Cette attaque a duré toute la nuit et une partie de la journée .Nous sommes très fatigués ! Le surlendemain, j’étais nommé avec Emonet téléphoniste pour remplacer nos camarades évacués. Les tirs continuent moins intenses, et les Allemands ripostent toujours avec énergie. Nous sommes obligés de refaire le point de tir de nos pièces. Un sous-lieutenant nous prie de partir avec lui et je monte sur un chêne à l’aide d’une longue échelle. De cet endroit, nous découvrons le front d'assez près, mais nous n’y restons guère, car les Allemands nous ont vus et nous envoient des obus à mitraille .Il faut redescendre rapidement en nous éloignant .Nous recommençons ainsi plusieurs fois cette opération sans grand espoir de régler nos pièces.

Nous partons à Esnes qui ne se trouve pas loin. Esnes est en ruines et c’est de là que nous réglons nos tirs.
Cette attaque a coûté cher aux Allemands, la côte 304 a été reprise et sur un front de 18 kilomètres, sont tombés entres nos mains : AVOCOURT- CUMIERES et le MORT HOMME.
Nous sommes rassemblés le 30 août 1917 autour de nos pièces et félicités par un ordre du jour transmis par le Général Guillaumet et que nous lit le lieutenant des Francs.
Notre tache est terminée dans ce coin du front et nous partons au petit jour sous un violent bombardement ennemi. Notre caisson téléphonique est percé par des éclats d’obus ,et cela va mal se terminer ,car notre départ ne s’effectue pas assez rapidement ; l’ennemi nous voit et nous arrose copieusement de schrapnells (obus de petit calibre).
A cause de la pluie, la route est transformée en fondrières et nous enfonçons dans la boue jusqu’aux chevilles.
En plus de mon emploi de téléphoniste, je suis agent de liaison, j’ai donc mis mon vélo sur un caisson.


Nous traversons Récicourt, Parois, et Aubreville, où nous passons la nuit.
Le matin, nous repartons par Clermont-en-Argonne, les Islettes.Lorsque nous passons dans ces pays en ruine, les autres soldats cantonnés nous regardent, nous sommes tellement sales , pas rasés , couverts de boue , ainsi que les chevaux !
Quant à moi, je suis en tête de la batterie, à vélo et mon fusil en bandoulière, suivi par les deux trompettes, les officiers et la batterie au grand complet. Quelques civils nous regardent, quelques uns me disent bonjour et j’en suis très fier !..
Nous continuons par Sainte Menehould, Dommartin la Planchette, que des noms héroïques, où se sont déroulés tant de combats ! 


Où allons nous ? 
Personne ne le sait sauf le lieutenant, bien entendu. Nous avons rejoint la 34è et la 33è batteries, cela représente un convoi de plusieurs kilomètres. Nous passons devant la plaine de Valmy, lieu célèbre, et apercevons le Monument de Dumouriez. Cela était vraiment très émouvant, car nous sortions de la zone de Verdun à moitié en loques, les vêtements déchirés. J’ai fait alors le rapprochement entre ces soldats « va-nu-pieds » et nous, hirsutes, sales et couverts de poux.
J’ai pensé alors que cela serait le sujet d’un beau tableau à réaliser par un peintre … (mon grand-père rêvait de devenir peintre ; toute sa vie ,il a peint à ses heures perdues ,il avait du talent ,mais c'était seulement son violon d'Ingres car ses parents ne l'ont jamais autorisé à devenir peintre -ce n'était pas un métier, disaient-ils -)

Et nous sommes repartis par Somme –Tourbe en direction de la Champagne.
(De cette bataille, pas de citation pour mon unité).

Pour suivre l'itinéraire parcouru , cliquer sur le lien suivant :



- La Côte 304 -

Le 24 août 1917, à 4H50, les 4è et 5è bataillons du 272è Régiment d’infanterie et un bataillon du 128è Régiment d’infanterie s’élancèrent d’un seul bond. Ils gravirent les pentes sud de la côte, atteignirent le sommet en traversant une zone arrosée d’obus et dépassèrent leur objectif.
Puis, le soir à 19h, le 6è bataillon du commandant Worbe, qui était jusque là en réserve, à son tour a complété l’opération en s’emparant de l’ouvrage du « Gâteau de Miel », et poussant jusqu’au ruisseau de Forges, à 2 kilomètres en avant du sommet de la Côte.


7 commentaires:

  1. très intéressant. Apparemment l'itinéraire ne fonctionne pas. Essaye peut etre avec Google earth si tu l'as.
    Gui

    RépondreSupprimer
  2. Victoire!!! J'me regale :)
    C'est du vecu, sans censure...et le vocabulaire est amusant (marmitage, guitoune...)

    "Nous sommes tellement sales, pas rasés et couverts de boue, ainsi que les chevaux"....j'imagine les chevaux pas rasés :P

    RépondreSupprimer
  3. Oui, j'ai vu cette phrase et j'ai eu la même pensée que toi, mais j'essaie de laisser le plus possible les phrases originales , telles qu'elles ont été écrites par mon grand-père . Mais dans ce cas , cela met une touche d'humour ,et ça l'aurait bien amusé !
    Je ne mets pas de censure , car il n'y a rien à cacher ,ce qu'il a écrit est seulement son vécu de la guerre , et même si certaines images sont dures ("un camarade a été tué et son corps disloqué pend sur la branche d'un arbre ") , elles le sont certainement moins que ce que fut la réalité .
    Quant au vocabulaire , je suis obligée de rechercher beaucoup de mots , tels que marmitage, et d'autres termes spécifiquement militaires que je ne connais pas .
    C'est très intéressant , ce travail de recherche ,en même temps que je découvre ce que fut la guerre de mon grand-père !

    RépondreSupprimer
  4. superbe émouvant on s'y croirait (heureusement que non) un DRAME aussi terrible raconté minute par minute !! quel témoignage !!!

    RépondreSupprimer
  5. Mon grand-père était à la cote 304 en juin 1917 où il a été fait prisonnier, j'ai donc lu avec beaucoup d'émotion ce passage du carnet de route de votre grand- père. Les détails illustrent ce qu'ont subit nos chers soldats dans cet enfer.Je n'ai pas eu beaucoup de récits de la part de mon grand-père qui était un " taiseux", il n'aimait pas évoquer cette période pendant laquelle il avait beaucoup souffert dans sa chair mais aussi de la privation des siens pendant sa captivité en Allemagne. Très beau témoignage, merci de le partager avec nous.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour votre commentaire , Roselyne .Je comprends que ce doit être très émouvant de trouver dans ce récit ce qu'a pu vivre votre grand-père qui était au même endroit juste 2 mois plus tôt !
      Mon grand-père parlait de temps en temps de cette guerre , mais il a surtout laissé ce témoignage qu'il avait rédigé à son retour de la guerre grâce aux notes qu'il avait pu écrire depuis son engagement en décembre 1916 (il avait eu 18 ans en septembre 1916) jusqu'au 18 octobre 1918 où il est évacué sur l’hôpital d'Ancenis pour fièvre thyphoïde .

      Supprimer