date à laquelle près de deux millions d'Estoniens , de Lettons , de Lituaniens se tenant par la main ont formé une impressionnante chaîne humaine de 600 km de long (La Voie Balte), traversant les trois pays baltes , pour "commémorer" à leur manière le 50ème anniversaire du pacte Molotov-Ribbentrop.
50 ans après, le pacte germano-soviétique fait boomerang en URSS
Mercredi 23 août 1989
C'est par ces mots face à l'ambassadeur du IIIe Reich à Moscou, que Molotov, ministre des Affaires étrangères de Staline réagit, en juin 1940, à l'invasion et l'occupation de la Belgique (et de la France). Les deux totalitarismes étaient à ce moment à l'apogée de leur "amitié indestructible", inaugurée, il y a ce mercredi tout juste 50 ans, par la signature à Moscou, le 23 août 1939, du "Pacte de non-agression" entre Hitler et Staline.
Cinquante ans après, l'heure de la vérité a peut-être sonné. A la suite de ce "pacte du diable", un territoire d'environ 400.000 kilomètres carrés, avec 20 millions de citoyens de trois pays baltes, de la Finlande, d'un tiers de la Pologne et de la Roumanie, allaient changer de régime et de citoyenneté. Aujourd'hui, leurs descendants essaient, avec des chances inégales, de se débarrasser de ce régime et de cette citoyenneté.
Cet anniversaire sera marqué par d'importantes manifestations nationalistes dans tous les pays concernés. Les Baltes vont notamment tenter, en signe d'unité, de former une chaîne humaine le long de 56O km de routes reliant leurs capitales, Vilnius, Riga et Tallinn.
Symbole parfaitement justifié: une semaine avant que les premiers obus soient tirés contre la presqu'île polonaise de Westerplatte, ce pacte, et surtout ses "clauses secrètes", ont marqué le vrai début de la Deuxième Guerre mondiale. Et la naissance de l'empire soviétique.
La dépêche, tombée au milieu de la nuit du 21 au 22 août 1939, a éveillé toutes les chancelleries d'Europe. Les agences de presse de l'Allemagne et de l'URSS annonçaient que Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères de Berlin, arriverait le 23 à Moscou pour signer, au nom du chancelier Hitler, un pacte de non-agression avec Staline.
A part quelques diplomates clairvoyants, peu de gens se rendirent compte de l'ampleur du désastre que ce pacte allait apporter à l'humanité. C'est en vertu de clauses secrètes de ce pacte, complété ensuite par plusieurs autres documents (certains aussi secrets), que la Pologne a été partagée (pour la quatrième fois entre les mêmes voisins), que la Bessarabie et la Boukovine roumaines sont passées à l'URSS et que les trois pays baltes, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, sont "entrés" dans la zone d'influence soviétique, avant d'être, un an plus tard, tous simplement annexés par l’État bolchevique.
POL MATHIL
Le retour du pacte germano-soviétique
Le débat sur l'importance de cet événement, qui a marqué les dernières cinquante années de l'Histoire de notre continent et scellé le sort de quelques vieilles nations, se déroule sur trois plans parallèles.
D'abord, historique. Pendant 50 ans, les autorités soviétiques contestèrent l'authenticité et même l'existence des clauses secrètes de 1939. "Amnésie" compréhensible dans la mesure où ces clauses dévoilent les sources totalement arbitraires et la justification exceptionnellement cynique (une zone d'influence dans l'Europe partagée entre les deux agresseurs) de l'annexion de terres étrangères et de l'incorporation par l'URSS des trois pays de la Baltique.
Ce volet est désormais clos. Même une commission officielle du parlement soviétique a reconnu l'évidence. Les textes intégraux des traités conclus par Hitler et Staline en 1939 et 1940 sont couchés sur des microfilms: 10.000 pages, 20 films. Il y a aussi une carte de l'Europe orientale dans laquelle les sphères d'intérêt soviétique et allemande sont délimitées conformément aux clauses secrètes. Staline l'a signée avec des lettres hautes de... 58 cm. Tous les documents en question sont déjà en possession des autorités soviétiques. C'est un cadeau pour M. Gorbatchev. Offert par le chancelier Kohl...
Le deuxième débat est de nature juridique. Il est encore ouvert. La question n'est plus de savoir si le "pacte satanique" est nul et non avenu, mais depuis quand: dès le début, depuis sa signature le 23 août 1939 ou à partir de sa violation par le IIIe Reich, le jour de la trahison par Hitler de son allié Staline, au moment de l'invasion nazie de l'URSS, le 21 juin 1941?
La différence est capitale. Le débat n'est pas théorique. Au contraire. Si, en effet, le pacte n'a perdu sa validité qu'en juin 1941, tout ce qui s'est passé dans sa foulée pendant ces deux ans reste valide et conforme à la loi internationale, y compris toutes les incorporations, annexions, etc. Si, en revanche, le pacte est déclaré nul ex tunc, dès le départ, alors l'image du monde change. Car, même si par exemple la Pologne ne conteste pas son actuel statu quo territorial (elle a reçu une compensation aux frais des Allemands et a déplacé son pays 300 km plus à l'Ouest), la soviétisation de trois pays baltes est totalement illégale, les "élections" et "demandes spontanées" d'union avec la Russie ne relèvent que d'une sinistre comédie. C'est ainsi que le parti communiste polonais vient de condamner le pacte de 39 qui "a violé les lois internationales" et qu'une commission parlementaire lituanienne a déclaré que ce pacte "est nul et non avenu depuis le moment de sa signature".
Ce qui explique que, et c'est le troisième volet, ce débat est surtout politique. Il anime non seulement l'action et la contestation dans les trois pays baltes, mais traverse désormais l'élite politique soviétique, touche l'essentiel des fondements de l'URSS. Le mystère n'existe plus. Le pacte et ses clauses ont déjà été publiés en URSS. L'historien Youri Afanassiev parle ouvertement de l'occupation militaire soviétique. Le Kremlin est dans une situation difficile. Alexandre Yakovlev, membre du Bureau politique et président de la commission parlementaire chargée d'étudier l'affaire du pacte, cherche une «interprétation» moins explosive. Il explique que l'imposition du régime soviétique dans les pays baltes ne résulte pas du pacte germano-russe, mais "d'autres circonstances".
Mais, il ne dit pas quelles circonstances... Et pour cause: elles n'existent pas.
Au fond, c'est une bataille d'arrière-garde. La cause est plaidée. On comprend les Baltes qui, même si tous n'exigent pas l'indépendance pour demain, demandent qu'on leur rende justice et qu'on leur rétablisse cette partie d'attributs politiques et économiques qui puissent, en attendant la souveraineté pleine, satisfaire les exigences fondamentales de leur dignité nationale et humaine.
En fait, avec le débat sur le pacte de 1939, on aborde probablement la phase finale, et la plus difficile, du réexamen de la politique étrangère de l'URSS, telle qu'elle a été formulée et pratiquée par Staline et ses successeurs. Mikhaïl Gorbatchev, qui a tant fait sur le plan de la rupture avec le passé stalinien, n'a cependant pas eu le courage ou la possibilité de mener ce réexamen jusqu'au bout. Il s'agit de remettre en question la série des actes arbitraires qui, depuis le pacte de 39 et jusqu'aux interventions en Hongrie en 56, en Tchécoslovaquie en 68, en Pologne (indirectement) en 1981, en passant par la soviétisation de l'Europe de l'Est après Yalta, ont fondé et maintenu par la force l'empire soviétique.
50 ans après, peu de gens (il y en a quand même) préconisent l'abolition de cet empire par la force. Mais les peuples de l'Est demandent qu'on les laisse regagner, sans violence, un statut compatible à la fois avec les réalités politiques et leurs aspirations nationales. Il s'agit, bien sûr, d'un compromis.
La Pologne, une fois n'est pas coutume, donne à cet égard l'exemple de la sagesse, de la modération et de l'efficacité: elle est en train de créer un espace de liberté à l'intérieur du carcan impérial soviétique. Y a-t-il quelqu'un qui pourrait prétendre que Walesa n'est pas un homme libre?
P. Ml.
L'Estonie veut retourner à la case départ... de 1928
Tallinn, août 1989
"Nous sommes une nation sous pression depuis 1940", déclare d'emblée Trivimi Valleste, président du plus important mouvement indépendantiste estonien, la Fondation pour la sauvegarde du patrimoine d'Estonie." Il faut que le Kremlin explique à tous les Soviétiques - pas à nous qui le savons déjà - que le cas des Baltes est un problème à part. Si Gorbatchev dénonce le Pacte, la situation sera plus claire et nous pourrons travailler sur de bonnes bases."
Quel que soit son degré de politisation, l'habitant de la Baltique refuse aujourd'hui le costume taillé par le Pacte germano-soviétique et dénonce comme une sinistre comédie le "vote" de leur Douma en faveur d'une incorporation dans l'Union soviétique. Même ceux qui ne veulent pas faire sécession, et ils sont quand même nombreux, veulent retourner à la case départ. Alors, il sera possible à trois républiques indépendantes de décider démocratiquement si elles restent ou non soviétiques, à quelles conditions.
"La république indépendante fondée en 1928 existe toujours en droit international puisque l'annexion a été illégale. La preuve, plusieurs pays dont les États-Unis ne l'ont pas reconnue. Il suffit donc de rétablir le gouvernement de facto et de réparer l'injustice. Nous voulons le faire calmement, il n'y a pas de raisons de se battre avec les Russes. En utilisant la voie parlementaire, idéale pour convaincre le Kremlin qu'il est meilleur pour tout le monde d'accepter, que refuser serait trop dangereux."
Comme toujours en pays balte, la voie proposée par Valleste est légale et simple. Trop au goût de certains qui proposent aussi la négociation mais pas avec les mêmes négociateurs.
Pour le Front populaire, c'est le Parlement estonien qui doit mener ces négociations car il représente la majorité des Estoniens. Or, les mouvements radicaux ne reconnaissent pas le Parlement actuel car "même s'il a été élu démocratiquement, il a été créé par un régime d'occupation et un tiers des députés sont des étrangers. Même illégal, il peut faire des choses utiles comme promulguer la loi sur la langue ou l'autonomie financière. Mais cette situation doit être aussi courte que possible"
La solution de Valleste, partagée par les trois mouvements radicaux estoniens, se concrétise actuellement avec l'élection par districts de Comités de citoyens. Sont éligibles tous ceux qui étaient estoniens en 1940 et leurs descendants. Les autres sont considérés comme des illégaux qui, après la proclamation de l'indépendance, pourront introduire une demande de naturalisation. A leur tour, les Comités éliront un Congrès estonien «pas un Parlement qui suppose des élections parfaites. Impossible pour des raisons techniques. Le Congrès peut prendre des décisions politiques mais pas voter des lois», explique Valleste toujours accroché à la cohérence constitutionnelle. "Il pourrait choisir un gouvernement provisoire qui organisera de vraies élections parlementaires et négociera avec le Kremlin"
A la finlandaise?
Le passé fournit aussi un moyen de retourner à la situation légale d'avant le Pacte: le traité de Tartu signé en 1920 entre la Russie soviétique et l'Estonie, un accord bilatéral entre deux nations indépendantes qui peut servir de base pour de nouvelles négociations avec le Kremlin. Notamment à propos des installations militaires. "Nous savons que nous sommes en période de négociations internationales sur les armements et que ce n'est pas le moment de bouleverser les données", poursuit Valleste. "Nous pourrions par exemple conserver des installations de radar. Mais nous préférons un système de neutralité comme celui de la Finlande, celui que nous avions avant le Pacte. Nous sommes aussi prêts à négocier un statut à la hongroise, avec un nombre limité de troupes soviétiques, pour un certain temps, selon les progrès des négociations internationales."
Quoique intellectuellement cohérent, ce programme ne fait pas l'unanimité des stratèges du Front qui l'estiment trop estonien. "Les trois pays baltes ne se présentent pas à chance égale. Il faut être prudent et ne pas avancer des solutions qui seraient bonnes en Estonie mais créeraient de dangereux précédents pour les deux autres pays baltes."
Le Front pense par exemple au cas de la Lituanie compliqué par des modifications de frontières au cours des siècles. Même si certains leaders de Solidarité se sont engagés à ne pas revendiquer les territoires que la Pologne avait envahis en 1920 et à renoncer à l'idée d'un Vilnius polonais, certains font remarquer que les Polonais continuent à l'appeler Wilno et la méfiance subsiste. Il y a eu aussi des glissements de frontières entre la Lituanie et la Lettonie, plus faciles à régler car «on est entre soi». Le Front craint aussi qu'une définition restreinte de la citoyenneté estonienne ne cause problème aux Lettons qui sont minoritaires dans leur république.
NINA BACHKATOV.
Source : http://archives.lesoir.be/5o-ans-apres-le-pacte-germano-sovietique-fait-boomerang_t-19890823-Z01XHF.html
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