Pour voir la carte montrant l'évolution des pays membres de la CEE (de 1957 à 1993) puis de l'Union européenne, animée selon l'ordre d'adhésion , cliquez sur le lien suivant : http://fr.wikipedia.org/wiki/Union_europ%C3%A9enne
Voici un article que mon père avait écrit dans la tribune libre du Centre-Presse ( quotidien de la Vienne) du 22 juin 1989 . Il s'intitule "l'Europe aux neuf langues" .
Cet article montre la vision de l'Europe du futur que pouvait avoir un citoyen européen en 1989.
Je précise pour comprendre certaines annotations faites dans l'article ,que mon père était linguiste ,enseignait deux langues ,l'espagnol et le portugais et parlait aussi couramment l'anglais et l'allemand .-------------------------------------
"Au lendemain des élections au Parlement européen (18 juin 1989),il peut être intéressant d'évoquer un problème difficile à résoudre lors de la réalisation d'une Europe unie : c'est celui des langues de la communauté .
On ne cesse de parler de questions économiques, politiques et financières ,mais que fait-on des Européens ? Pour gagner la paix et la prospérité européennes , n'est- il pas nécessaire ,avant tout,de créer "l'Europe des cœurs" pour effacer méfiance et préjugés ?
Il faut donc que les douze peuples de la communauté se comprennent intimement. Or ,l'Europe de la CEE (de 1989) ( République fédérale d'Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas ,France, Luxembourg,Royaume-Uni, Danemark ,Irlande , Grèce , Espagne et Portugal ) est riche de neuf langues ( l'Anglais , l'Allemand , l'Italien, le Français ,le Danois , le Portugais , l'Espagnol,le Grec et le Néerlandais ), de neuf cultures irremplaçables .Il est facile ,aussi bien dans les discours que sur le papier ,d'affirmer qu'une langue véhiculaire aplanira les difficultés linguistiques .Sans doute les technocrates n'auront -ils aucun mal à se comprendre ,eux qui travaillent froidement à coups de chiffres et de manipulations d'ordinateurs .
Si les États-Unis d'Amérique ont pu réaliser l'union, de Los Angeles à Philadelphie ,si tous les habitants des USA pensent et sentent dans la même langue ,il n'en va pas de même des Européens .La sensibilité italienne est différente de la néerlandaise,la pensée d'un Français n'est pas la même que celle d'un Grec ,et les réactions affectives d'un Allemand sont éloignées de celles d'un Portugais .
Miguel de Unamuno a écrit que "la langue est le sang de l'esprit ". Demandons à nos compatriotes linguistes combien de temps leur a été nécessaire pour pénétrer les arcanes des peuples dont ils étudient les langues ? Et ,parmi nos hommes politiques , combien sont parfaitement bilingues ou trilingues ,combien de nos députés européens sont capables de s'entretenir -sans interprète ou sans traduction simultanée - avec un député danois ou un parlementaire italien ?
On nous démontrera,bien entendu ,que le problème est mal posé et qu'une langue véhiculaire fera bien l'affaire . Acceptons-en l'augure ,mais l'eau coulera encore longtemps sous les ponts de la Loire ,du Rhin et de l'Ebre avant que le cultivateur beauceron puisse discuter -sans intermédiaire- des problèmes agricoles avec un paysan calabrais . Car c'est bien de cela qu'il s'agit : compréhension directe entre les hommes exerçant le même métier .
Une langue véhiculaire est toujours artificielle ,alors qu'une langue maternelle est faite non seulement de sons,mais aussi d'attitudes et recouvre un art de vivre qui la rend intime,profonde, incomparable. L'exemple de l'URSS ,où le Russe est la langue véhiculaire de trente trois peuples parlant des langues aussi différentes que l'Arménien , l' Estonien ,le Yakoute ou le Moldave , n'est pas concluant .En dépit des efforts du pouvoir central ,depuis soixante-douze ans ,derrière chaque langue apparaît un nationalisme peut-être désuet mais toujours présent .(on se souvient que quatre mois et demi après l'écriture de cet article , se produisait la chute du mur de Berlin - 9 novembre 1989 - qui annonçait la mort prochaine de l'URSS et du communisme .Sans aucun doute , les divers nationalismes qui étaient toujours vivants dans les nations sous le joug de l'URSS ont joué un rôle primordial et moteur dans la revendication d'indépendance de ces nations ...)
L'anglais est la langue, fréquemment citée ,pouvant devenir le véhicule des idées dans l'Europe de demain . On remarquera ,cependant ,que l'anglais est la langue d'un pays qui a montré bien des réticences à s'intégrer dans le concert des peuples de notre vieux continent et qui a mille affinités avec les USA dont nous cherchons à nous démarquer économiquement parlant .
Chacune des douze nations voudra garder sa langue et sa culture.On cite volontiers l'exemple de la Confédération helvétique que l'on a comparée à une petite communauté européenne avec ses quatre langues : allemand ,français, italien et romanche .
J'aimerais rapporter ce qu'écrit Claude Torracinta dans la préface de son livre : "La Suisse aux quatre langues"(édition française,Editions Zoé, Genève 1985 ,page 9 ):
"dans un pays où l'histoire offre vingt-cinq versions différentes et où l'unité nationale se fonde sur un enchevêtrement subtil de multiples rapports majorité-minorité qui se complètent et s'annulent, la frontière des langues constitue une barrière souvent difficilement franchissable. Disons le clairement,la majorité des Suisses ne se comprennent pas ou mal ". Mais l'auteur continue, nuançant son propos :
"Oui, nous nous comprenons mal. Et le miracle ,c'est que ,malgré cela ,nous ayons réussi à vivre ensemble et à nous entendre depuis si longtemps ."
Pourtant, il ne manque pas de faire preuve d'un certain pessimisme... "si cette diversité linguistique a été une chance et même une richesse pour la Suisse ...la question se pose de savoir si elle ne deviendra pas un jour source de malentendus et de conflits ."
On objectera que la Suisse n'est pas la CEE et que les problèmes sont différents à Strasbourg et à Berne. Acceptons ,néanmoins,le fait que neuf langues et neuf cultures sont une richesse certaine pour l'Europe si elle sait éviter le piège de la prédominance du Matérialisme sur l'Esprit."
Jacques Alibert - 22 juin 1989
La devise de l'Union européenne est :
In varietate concordia ("Unie dans la diversité")
En lisant cet article ,on s'aperçoit que depuis 1989 , l'Europe a bien changé .
Et l'un des plus importants changements est qu'en 27 ans ,la CEE est devenue l'Union européenne ,et que de douze pays , nous sommes passés à vingt-huit pays membres .
L'anglais est bien resté la langue véhiculaire ,c'était plus que prévisible , car quelle autre langue proposer ? Mais les citoyens de cette Europe se comprennent-ils vraiment tout à fait ou seulement à peu près,à travers une langue qui n'est la langue maternelle que des Anglais et des Irlandais ,population représentant seulement 1/7è de l'UE ?
Un autre sujet qu'évoquait mon père était la compréhension directe entre les hommes exerçant le même métier ("Car c'est bien de cela qu'il s'agit : compréhension directe entre les hommes exerçant le même métier") : quelle réponse peut- on apporter aujourd'hui ,alors que nous sommes maintenant 28 pays formant l'Union européenne ?
Plus il y aura de pays et de langues , plus la compréhension entre les peuples sera difficile ...
En reprenant la dernière phrase de l'article ,"acceptons ,néanmoins,le fait que neuf langues et neuf cultures sont une richesse certaine pour l'Europe si elle sait éviter le piège de la prédominance du Matérialisme sur l'Esprit" , on ne peut malheureusement que constater que le matérialisme a pris toute la place dans notre société .
Mon père était un rêveur , un idéaliste, il rêvait "d'une Europe des cœurs". Il avait peut-être raison, il fallait sans doute aller moins vite ,commencer à créer l'Europe des peuples avant de créer l'Europe du commerce ,des banques . Mais les peuples n'ont pas pouvoir de décider ,ils subissent ce que politiciens et autres puissants (banquiers, sociétés au CAC 40...) décident pour eux .On s'aperçoit que ce qui est mis en place n'est pas toujours ce dont les peuples rêvent ,mais hélas matérialisme et profit sont aujourd'hui devenus les priorités de nos sociétés .
Cependant pour rester positive, je terminerai sur cette phrase de l'article :
"Acceptons ,néanmoins,le fait que neuf langues et neuf cultures sont une richesse certaine pour l'Europe ..."
Alors avec 28 pays membres ,quelle richesse !
Aux peuples maintenant de continuer à prouver que ce sont justement leurs différences et leurs diversités culturelles et linguistiques qui permettent de tisser des liens .
Et c'est sans aucun doute le plus solide des ciments pour l'Union européenne .
http://www.touteleurope.eu/fr/histoire/dates-cles/les-elargissements/presentation/de-6-a-27-pays.html#c141934
Très intéressant. Peu de choses ont changé...
RépondreSupprimerMais est-ce une raison pour ne pas faire l'Europe. Quand on voit l'attractivité qu'elle a sur les prochains entrants (Croatie, Islande), je pense que non !
RépondreSupprimerBien sûr que la diversité des langues et des cultures n'est pas une raison pour ne pas faire l'Europe ,au contraire ,c'est une grande richesse !
RépondreSupprimerPour rester positive,contrairement à la fin de mon post , le garderai cette phrase de l'article :
"Acceptons ,néanmoins,le fait que neuf langues et neuf cultures sont une richesse certaine pour l'Europe ..." (mais je ne parlerai pas de matérialisme cette fois).
Alors avec 27 pays membres , bientôt davantage ,quelle richesse !
Aux peuples maintenant de continuer à prouver que leurs différences et leurs diversités culturelles et linguistiques tissent des liens entre eux et sont le plus solide des ciments pour l'Union européenne .