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mercredi 29 juin 2022

A droite de la résistance - par Giorgio AGAMBEN

Le philosophe Giorgio Agamben a réagi aux mesures attentatoires aux libertés prises à l'occasion du Covid non seulement par ses prises de position mais aussi par une élaboration théorique : elles sont à situer dans un cadre plus large, celui d'un état d'exception permanent qui mène au totalitarisme, et de la "vie nue" (l'Etat ne considère plus les hommes comme des citoyens mais comme des corps aux besoins strictement matériels).




"Je vais essayer de partager avec vous quelques réflexions sur la résistance et sur la guerre civile (1). Il est inutile de rappeler qu’un droit de résistance existe déjà dans le monde antique, qui connaît une tradition d’éloges du tyrannicide, et au Moyen-Age. Thomas d’Aquin a résumé la position de la théologie scolastique dans le principe selon lequel le régime tyrannique, dans la mesure où il substitue au bien commun l’intérêt d’une partie, ne peut être justum. La résistance – Thomas dit la perturbatio – contre ce régime n’est donc pas une seditio.

Il va de soi que le sujet comporte nécessairement une dose d’ambiguïté en ce qui concerne la définition du caractère tyrannique d’un régime donné ; en témoignent les précautions de Bartolo qui, dans son Traité sur les Guelfes et les Gibelins, distingue un tyran ex defectu tituli [par défaut de titre légitime] d’un tyran ex parte exercitii [du fait de son exercice du pouvoir], mais il a ensuite du mal à identifier une justa causa resistendi.

Cette ambiguïté réapparaît dans les discussions de 1947 sur l’inscription d’un droit de résistance dans la Constitution italienne. Dossetti avait proposé, comme vous le savez, de faire figurer dans le texte un article disant : « La résistance individuelle et collective aux actes du pouvoir public qui violent les libertés fondamentales et les droits garantis par cette Constitution est un droit et un devoir des citoyens. »

Ce texte, qui avait même été soutenu par Aldo Moro, ne fut pas inséré, et Meuccio Ruini, qui présidait la Commission dite des 75, qui devait préparer le texte de la Constitution, et qui, quelques années après, devait, comme président du Sénat, se distinguer par la façon dont il chercha à empêcher la discussion parlementaire sur ce qu’on a appelé la « loi escroquerie » (2), préféra renvoyer la décision au vote de l’Assemblée, qu’il savait devoir être négatif.

On ne peut toutefois nier que les hésitations et objections des juristes – parmi lesquels Costantino Mortati – n’étaient pas dénuées d’arguments, lorsqu’ils faisaient remarquer qu’on ne peut réguler juridiquement le rapport entre droit positif et révolution. C’est le problème que Carl Schmitt, à propos de la figure du partisan, si importante à l’époque moderne, définissait comme le problème de la « réglementation de l’irrégulier ». Curieusement, les juristes parlaient de rapport entre droit positif et « révolution » : il m’aurait semblé plus approprié de parler de « guerre civile ». De fait, comment tracer une limite entre droit de résistance et guerre civile ? La guerre civile n’est-elle pas l’issue inévitable d’un droit de résistance compris de façon sérieuse ?

L’hypothèse que j’ai l’intention de proposer aujourd’hui est que cette façon de poser le problème de la résistance laisse échapper l’essentiel, c’est-à-dire une mutation radicale concernant la nature même de l’État moderne – c’est-à-dire, pour nous comprendre, de l’État post-napoléonien. On ne peut pas parler de résistance, si l’on ne réfléchit pas d’abord à cette transformation.

Le droit public européen est essentiellement un droit de guerre. L’État moderne se définit non seulement, en général, par son monopole de la violence, mais, plus concrètement, par son monopole du jus belli [droit de la guerre]. L’État ne peut renoncer à ce droit, même au prix, comme nous le voyons aujourd’hui, d’inventions de nouvelles formes de guerre.

Le jus belli n’est pas seulement le droit de faire et de conduire des guerres, mais aussi celui de réguler juridiquement la conduite de la guerre. Il distinguait ainsi entre état de guerre et état de paix, entre ennemi public et délinquant, entre population civile et armée combattante, entre soldat et partisan.

Aujourd’hui nous savons que justement ces caractères essentiels du jus belli ont depuis longtemps disparu, et mon hypothèse c’est précisément que cela implique un changement tout aussi essentiel dans la nature de l’État.

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, la distinction entre population civile et armée combattante s’était déjà progressivement effacée.

Un signe de ce fait, c’est que les Conventions de Genève de 1949 reconnaissent un statut juridique à la population qui participe à la guerre sans appartenir à l’armée régulière, à condition cependant qu’on puisse identifier des chefs, qu’on montre ses armes et qu’on porte un insigne visible.

Encore une fois, ces dispositions ne m’intéressent pas en tant qu’elles mènent à une reconnaissance du droit de résistance – du reste, vous l’avez vu, bien limité : un partisan qui montre ses armes n’est pas un partisan, c’est un partisan inconscient – mais parce qu’elles impliquent une transformation de l’État lui-même, en tant que détenteur du jus belli.

Comme nous l’avons vu et continuons à le voir, l’État, qui, du point de vue strictement juridique, est désormais entré de façon stable dans l’état d’exception, n’abolit pas le jus belli, mais perd, ipso facto, la possibilité de distinguer entre guerre régulière et guerre civile. Nous avons aujourd’hui en face de nous un Etat qui mène une sorte de guerre civile planétaire, qu’il ne peut en aucune façon reconnaître comme telle.

Résistance et guerre civile se trouvent donc classées comme actes de terrorisme, et il ne sera pas inopportun de rappeler ici que la première apparition du terrorisme dans l’après-guerre fut l’œuvre d’un général de l’armée française, Raoul Salan, commandant suprême des forces armées françaises en Algérie, qui avait créé en 1961 l’OAS, qui signifie : Organisation Armée Secrète. Réfléchissez sur la formule « armée secrète » : l’armée régulière devient irrégulière, le soldat se confond avec le terroriste.

Il me semble clair que, face à cet Etat, on ne peut parler d’un « droit de résistance », éventuellement codifiable dans la Constitution, ou qu’on pourrait déduire de celle-ci . Pour deux raisons au moins : la première, c’est qu’on ne peut soumettre à des normes la guerre civile, comme l’État, de son côté, essaie au contraire de le faire à travers une série indéfinie de décrets, qui ont altéré de fond en comble le principe de stabilité de la loi. Nous avons en face de nous un Etat qui mène et essaie de codifier une forme larvée de guerre civile.

La deuxième, qui constitue pour moi une thèse impérative, c’est que, dans les conditions actuelles, la résistance ne peut être une activité séparée : elle ne peut que devenir une forme de vie.

Il y aura véritablement résistance, seulement si et quand chacun saura tirer de cette thèse les conséquences qui le concernent."

Giorgio AGAMBEN

(1) G. Agamben a publié en 2015 une courte étude intitulée La guerre civile.
(2) La loi-escroquerie (« legge-truffa ») de 1953 est une modification de la loi électorale de 1946, introduisant dans la proportionnelle une prime à la majorité (65 % des sièges au parti dépassant 50 % des suffrages). Abrogée en 1954, elle a été réactualisée en 2005 par la loi « Porcellum » (loi « saloperie »).

Source -> https://sinistrainrete.info/articoli-brevi/23294-giorgio-agamben-sul-diritto-di-resistenza


« Seuls 3 types de profils résistent au déferlement totalitaire » – Ariane Bilheran

 



Ariane Bilheran est diplômée de l’École normale supérieure (Ulm), psychologue clinicienne, Docteur en psychopathologie et philosophe.

Spécialiste de la psychologie du pouvoir, elle a prononcé des conférences en France et à l’étranger sur les thèmes de la paranoïa, de l’emprise, du harcèlement, de la manipulation et de l’autorité. Elle a également publié de nombreux ouvrages consacrés à la littérature, la poésie, la philosophie ou la psychologie. Au cours de sa carrière, Ariane Bilheran est intervenue en tant que consultante et a dispensé des formations dans différentes entreprises ou institutions. Elle a aussi été amenée à produire des expertises judiciaires dans le cadre de procès portant sur des cas de harcèlement ou d’emprise devant les juridictions civiles et pénales. Depuis 2015, Ariane Bilheran réside en Amérique du Sud où elle poursuit son activité clinique ainsi que son travail de recherche et d’écriture, tout en consacrant une part de son temps à des actions agricoles et humanitaires. Nous l’avons interrogée à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage "Chroniques du totalitarisme 2021". Un livre qui rassemble les chroniques publiées par Ariane Bilheran l’année dernière ainsi que plusieurs textes qui traitent du phénomène totalitaire, notamment sous le prisme de la crise sanitaire. En quoi notre société faisait-elle déjà l’expérience d’une forme de « dégénérescence » avant l’irruption de la crise sanitaire ? L'émergence du phénomène totalitaire est-elle le produit d’une société malade, qui a perdu ses repères ? Comment les peuples ont-ils été dépossédés de leur capacité à exercer leur esprit critique ? En quoi nous a-t-on supprimé le droit de mener une « vie héroïque » ? Quelles sont les principales caractéristiques des personnes susceptibles de participer activement au phénomène totalitaire ? Quels sont les profils de celles qui sont, au contraire, en mesure de lui résister ? En quoi est-il important de faire un travail sur soi pour être capable de résister à l’embrigadement ? Le phénomène totalitaire n’agit-il pas comme un aiguillon qui exige que nous revoyions à la hausse l’échelle de nos valeurs et notre conception de la vie ? En quoi vivons-nous « le prolongement de notre fermeture de cœur » ? Pourquoi la charité est-elle “le remède au totalitarisme” ? Retrouvez les articles, ateliers et conférences d’Ariane Bilheran sur son site : https://www.arianebilheran.com/ Depuis avril 2020, Ariane Bilheran et les bénévoles de la Fondation La Posada de Paco mènent une action caritative en Colombie afin de venir en aide aux populations locales, notamment sur le plan alimentaire et en venant en aide aux animaux abandonnés.

mercredi 22 juin 2022

Le 23 juin en Estonie, c'est Võidupüha (Victory Day ou Jour de la Victoire)

Monument de la Guerre d'Indépendance (Vabadussõja võidusammas ) sur Vabaduse Väljak 
Photo  http://www.estonie-tallinn.com/ (avril 2011)



Võidupüha or Victory Day is an Estonian public holiday, which has been celebrated on 23 June every year since 1934 until 1939 and after the restoration of Estonian independence from 1992. Victory Day recalls the decisive battle during the War of Independence in which the Estonian military forces and their allies defeated the German forces who sought to re-assert Baltic-German control over the region. Today, Võidupüha also marks the contributions of all Estonians in their fight to regain and retain their independence.
Võidupüha is an Important National Day for all who have supported Estonia's Quest for Independence.










Võidupüha ou Jour de la Victoire est un jour férié en Estonie .
Cette fête Nationale a été célébrée chaque 23 juin de 1934 à 1939 .
Après la longue interruption causée par l'occupation soviétique ,ce jour est de nouveau fêté depuis 1992 ,suite à la restauration de l'indépendance de l'Estonie en 1991.

Le Jour de la Victoire rappelle la bataille décisive duranla Guerre d'Indépendance de l'Estonie (1918-1920) ,dans laquelle les forces estoniennes militaires et leurs alliés ont vaincu les forces allemandes qui cherchaient à reprendre le contrôle sur les régions de la Baltique .
Võidupüha marque également la contribution de tous les Estoniens dans leur lutte pour retrouver et garder leur indépendance.
Võidupüha est une fête Nationale importante pour tous ceux qui ont soutenu la quête de  l'Estonie pour son indépendance .


Cette fête Nationale commémore la victoire de l'armée estonienne sur les troupes allemandes en 1919


Võidupüha (Victory Day)- 23 June

 













Source
http://www.theapricity.com/forum/showthread.php?t=16732

jeudi 16 juin 2022

La nuit du 23 au 24 juin ,c'est Jaanipäev : la tradition des feux de la Saint-Jean en Estonie




Jaanipäev (le jour de St Jean) ou Jaaniõhtu (la soirée) ou encore Jaanilaupäev a en Estonie une importance toute particulière puisque ce jour est avec Noël le plus important de l'année.

Depuis toujours, dans les pays nordiques, la Saint-Jean se trouve être le point culminant de l'année et l'Estonie ne fait pas exception à la règle.
Le court été avec ses longues journées et ses nuits quasi-inexistantes a une signification très spéciale. Jaanipäev est célébré la nuit du 23 au 24 Juin, quelques jours seulement après le solstice d'été.

La fête de la Saint-Jean est l’une des plus importantes fêtes pour les Estoniens. On y allume de nombreux feux et la légende raconte que les jeunes filles peuvent deviner ce soir là le nom de leur futur mari .
La St Jean est une véritable survivance païenne marquant le début de l'été. C'est l'occasion pour de nombreux Estoniens de prendre une semaine de congés.Le 23 au soir, ils quittent les villes pour rejoindre la campagne , les lacs ou le bord de mer où ils possèdent souvent une petite maison de vacances (suvila).

De grands feux de joie sont allumés, autour desquels on danse, on chante, on boit.
Les plus téméraires sautent à travers les flammes , une manière de se débarrasser des mauvaises vibrations.
La nuit à peine couchée, voilà le jour qui se réveille. Il est temps de parcourir la campagne à la recherche de la mythique fleur de fougère qui ne fleurirait que cette nuit et qui porterait chance à quiconque la trouverait : un gage de chance pour l'année à venir.

Si vous voulez en savoir plus sur l' Histoire de la St Jean, lisez ce qu'en dit l'auteur de ce blog "Estonie-Tallinn" , vous y trouverez la signification de cette belle fête, l'une des fêtes les plus importantes pour les Estoniens .


Pour les amateurs de nouvelles ,en voici une de Juhan JAIK ,écrivain estonien(1899-1948) : "la nuit de la Saint Jean"

Cette nouvelle est tirée d'une vieille légende estonienne qui narre l'histoire d'une colline -Suur Munamägi - qui devient chauve puis se remplume et d'un vieux démon plutôt sympa en définitive.

Elle commence ainsi :

"Il y a bien longtemps qu’advint cette étrange nuit de la Saint-Jean : si longtemps, que même le vieillard centenaire qui vit dans sa cahute rectangulaire au pied de la colline de Munamägi, même lui ne sait rien répondre d’autre à qui le questionne sur cet événement, que : « Je ne m’en souviens pas, je ne me souviens de rien."
...
Pour lire la suite , cliquez ICI





Sources
http://www.lonelyplanet.fr/destinations/europe/estonie/culture-et-histoire/culture

http://www.routard.com/guide/estonie/2287/traditions.htm 


http://www.litterature-estonienne.com/Jaiknuit.html

jeudi 9 juin 2022

Nuits blanches en Estonie


Tallinn after 11pm - "Don't you just love those white nights that make this medieval fairytale even more magical"



Le phénomène des nuits blanches : 
des nuits courtes , de longues journées 


Aux latitudes situées en-deçà des cercles polaires, jusqu’à environ 60° de latitude nord et sud, un phénomène se produit aux alentours du solstice d’été : il s’agit de la nuit blanche, c’est-à-dire une nuit où le soleil, bien que couché, ne descend pas suffisamment sous l’horizon pour permettre à la nuit de devenir totalement noire.
Il peut parfois y faire suffisamment clair pour pouvoir lire un livre sans avoir besoin d’une lumière artificielle. 

Ce phénomène est observable notamment au nord de l'Écosse, à Reykjavík (Islande), Saint-Pétersbourg (Russie), Riga (Lettonie), Vilnius (Lituanie), Tallinn (Estonie) ou Helsinki (Finlande) et le long de toutes les côtes arctiques de la Russie, de la frontière finlandaise au détroit de Béring via le nord de la Sibérie, ou encore à Anchorage (Alaska) et le grand-nord du Canada ainsi que dans la majeure partie du sud du Groenland.


Le phénomène débute théoriquement à 48°34' de latitude. À cette latitude le soleil s’abaisse tout juste à 18° sous l’horizon à minuit solaire le jour du solstice : c’est cette valeur de 18° qui définit la nuit noire. Au-delà de cette latitude le soleil reste à moins de 18° pendant une partie de la nuit plusieurs jours de part et d'autre du solstice. Plus on se rapproche des cercles arctiques moins il s’abaisse sous l’horizon et plus ce nombre de jours augmente, et plus la nuit reste claire.

Si vous vous trouvez en Estonie aux alentours du solstice d'été ,vous allez donc pouvoir profiter grâce aux nuits blanches ,de longues journées d'été estoniennes . Cela signifie que vous pouvez programmer des sorties extérieures tard dans la nuit ,tandis que le reste de l'Europe est dans les ténèbres .
Pendant cette période ,les jours les plus longs dépassent 19 heures . Les nuits blanches durent de début mai à fin juillet.
Fin juin, c'est l'apothéose des nuits (presque) blanches !


Lever et coucher du soleil à Tallinn en juin 
















Photos : Estonie-Tallinn ,blog d'un Français en Estonie
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jour_polaire